Adoption d'une proposition de loi relative à la translation des cendres de Zola



CHAMBRE DES DÉPUTÉS
2ème séance du vendredi 13 juillet 1906
Présidence de M. Henri Brisson.


Henri Brisson (1835-1912), député des Bouches-du-Rhône, ancien ministre, ancien président du conseil, président de la Chambre des députés. D'abord convaincu de la culpabilité de Dreyfus, il change d'avis et souhaite la revision du procès : le 26 septembre 1898, en tant que président du conseil, il obtient du conseil des ministres l'autorisation de saisir la cour de cassation.

M. le président. La parole est à M. Breton pour déposer une proposition de loi en faveur de laquelle il demande le bénéfice de l'urgence et la discussion immédiate.

M. Jules-Louis Breton. Au nom de mes collègues MM. de Pressensé, Jaurès, Allemane, Ferdinand Buisson, Gérault-Richard, Sembat, Vazeille, Delaunay, Besnard, Pajot, Lafferre, Zévaès, Roblin, Ravier, Ceccaldi, Lagasse, Victor Morel, Poulain, Maujan, Dubief, Dumont, Isoard, Dejeante, Levraud, Varenne, Rajon, Magnaud, Thivrier, Betoulle, Merle, et en mon nom personnel, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre la proposition de loi suivante, dont je demande la permission de lire l'exposé des motifs. (Lisez !)

Messieurs, le 2 décembre 1902, quelque temps après l'accident tragique qui avait frappé Emile Zola dans l'apogée de son génie, je déposais avec mes collègues Francis de Pressensé, Jaurès, Ferdinand Buisson, Gérault-Richard, Vazeille et Marcel Sembat, une proposition tendant au transfert au Panthéon des restes de ce grand citoyen, de ce puissant romancier, de cet admirable écrivain.

Nous nous faisons un devoir de reprendre cette proposition au lendemain du jour qui a enfin marqué le triomphe éclatant et définitif de cette œuvre grandiose de vérité, de justice et d'humanité dont Zola fut le plus grand et le plus héroïque artisan.

L'un des premiers, il dénonça les monstrueuses infamies que cachait l'affaire Dreyfus ; loin de s'enfermer, comme tant d'autres, dans un étroit et lâche égoïsme et de se contenter de déplorer dans l'intimité les iniquités commises et les crimes accomplis, Zola se jeta courageusement dans la mêlée pour défendre la justice et la vérité.

Une fois sa conviction faite, il n'hésita pas ; sacrifiant sa tranquillité et ses intérêts personnels, il mit son immense talent, sa glorieuse réputation si légitimement acquise, son nom universellement connu, au service de la justice et, avec un courage admirable, il révolutionna le monde entier par sa belle lettre « J'accuse ».

Ce fut un éclair formidable qui fit jaillir la lumière ; ce fut le point de départ de la longue et pénible lutte au cours de laquelle Zola ne faiblit pas une seconde, malgré toutes les injures odieuses et les calomnies abjectes de la « presse immonde » (L'expression, qui est de Zola, vise la presse antisémite et antidreyfusarde.), malgré les invraisemblances et les répugnantes perfidies de la réaction nationaliste et cléricale.

Sans l'initiative héroïque de Zola l'innocent serait encore au bagne, à moins que la mort ne l'eût libéré des tortures morales et physiques que lui infligeaient ses criminels bourreaux ; la lumière n'aurait pu traverser tous les faux qui l'obscurcissaient, la vérité n'aurait pu triompher des mensonges accumulés et la justice ne serait pas encore venue apporter une réparation nécessaire et bienfaisante non seulement à la victime innocente, mais encore à la France elle-même.

Plus que tous ses chefs-d'œuvre, cette ferme, courageuse et admirable attitude fera de Zola une des plus belles et des plus grandes figures de l'histoire de notre époque.

Quant à la formidable œuvre littéraire de Zola, elle est trop connue de tous pour qu'il soit utile de la rappeler en ce moment ; il n'en est pas de plus belle, de plus haute, de plus puissante, de plus féconde ; il n'en est pas de plus capable de justifier pleinement la proposition que nous vous soumettons.

La Chambre s'honorera en rendant aujourd'hui même, cet hommage posthume à cet homme de bien, à ce grand citoyen dont le souvenir planera sur les générations futures dans l'immortalité du génie et du courage civique.

Nous vous demandons, en conséquence, de voter la proposition de loi suivante :

« Article unique. - Les cendres d'Emile Zola seront transférées au Panthéon.

« Un décret rendu par le Président de la République, sur la proposition du ministre de l'instruction publique, fixera la date de cette cérémonie. »

M. le président. M. Breton demande l'urgence et la discussion immédiate.

M. Georges Berry. Nous demandons le renvoi à la commission.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la déclaration d'urgence.

Il y a une demande de scrutin, signée de MM. Allard, Dufour, Bouveri, Cadenat, Cornet, Delory, Roblin, Dejeante, Sembat, Vaillant, Basly, Constans, Colliard, Lamendin, Rouanet, Aldy.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. - MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre de votants 497

Majorité absolue 249

Pour l'adoption 287

Contre 210

La Chambre des députés a adopté. (L'analyse du scrutin annexée au compte rendu fait apparaître, après les rectifications de votes, les résultats suivants : nombre de votants, 466 ; majorité absolue, 234 ; pour l'adoption, 278 ; contre, 188.)

M. Breton demande la discussion immédiate.

Il n'y a pas d'opposition ?...

La discussion immédiate est ordonnée.

Personne ne demande la parole pour la discussion générale ?...

Je consulte la Chambre sur la question de savoir si elle entend passer à la discussion de l'article unique de la proposition de loi.

(La Chambre décide de passer à la discussion de l'article.)

M. le président. Je donne lecture de l'article unique :

« Article unique. - Les cendres d'Émile Zola seront transférées au Panthéon.

« Un décret rendu par le Président de la République, sur la proposition du ministre de l'instruction publique, fixera la date de cette cérémonie. »

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.

(L'épreuve a lieu. Elle est déclarée douteuse par le bureau.)

A l'extrême gauche. Nous demandons le scrutin.

M. le président. Le scrutin étant demandé après une épreuve douteuse est de droit.

Il va y être procédé.

(Les votes sont recueillis. - MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre de votants 554

Majorité absolue 278

Pour l'adoption 344

Contre 210

La Chambre des députés a adopté. (Après les rectifications de votes : nombre de votants, 481 ; majorité absolue, 241 ; pour l'adoption, 316 ; contre, 165.)


SOURCE:
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Dreyfus/dreyfusseance13072006.asp

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" Édité dans le but de mieux connaître et aimer Émile ZOLA "

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