Alain PAGÈS - ZOLA ET LE GROUPE DE MÉDAN Histoire d'un Cercle Littéraire



ALAIN PAGÈS, 
ZOLA ET LE GROUPE DE MÉDAN. 
HISTOIRE D'UN CERCLE LITTÉRAIRE

PARUTION Livre
Février 2014

Présentation de l'éditeur :

   Publié en avril 1880, le recueil des Soirées de Médan réunit six noms : ceux d’Émile Zola et de ses disciples, Guy de Maupassant, J.-K. Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique et Paul Alexis. Une vision commune inspire ces écrivains : manifester leur solidarité intellectuelle pour défendre les principes de la littérature naturaliste. « Ce n’est qu’avec des œuvres que nous nous affirmerons ; les œuvres ferment la bouche des impuissants et décident seules des grands mouvements littéraires », lance Zola à ses amis...

   Pour expliquer comment est né ce recueil, cet ouvrage s’efforce de reconstituer le mythe littéraire qui est à son origine. C’est pourquoi il ne limite pas son récit aux seules années 1877-1880, celles du naturalisme triomphant. Mais il choisit de commencer bien plus tôt, en s’ouvrant sur l’exposé de la jeunesse de Zola à Aix-en-Provence. Puis il met en scène, les uns après les autres, tous les épisodes de la bataille naturaliste. Et, après avoir franchi la limite que constitue la mort de Zola, il s’achève en 1930, au moment de la commémoration du cinquantenaire des Soirées de Médan. Il parcourt ainsi plus d’un siècle d’histoire littéraire. En montrant les liens qui unissent les événements entre eux, il retrace les différents épisodes qui ont jalonné cette histoire, des dîners Flaubert à la fondation de l’Académie Goncourt ou à la création du Pèlerinage de Médan. Il évoque des moments de réussite comme des échecs, des périodes d’exaltation comme des affrontements, lorsque quelques disciples rebelles – ceux du Manifeste des Cinq – décident de se révolter contre l’autorité du maître. En somme, il donne à voir, avec ses bonheurs et ses drames, une aventure collective, vécue par des écrivains que réunissait une même croyance dans la capacité de la littérature à représenter le mécanisme des réalités sociales.

http://www.editions-perrin.fr

Alain Pagès, Zola et le groupe de Médan. 
Histoire d'un cercle littéraire
Paris : Perrin, 2014.
EAN 9782262033712.
479 p.

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T R I B U N E

Publié le 17 Février 2014
Entretien avec Alain Pagès : Zola, Médan et l’antisémitisme

Propos recueillis par Marc Knobel, Chercheur et Directeur des Études du CRIF, interview d’Alain Pagès, Professeur à l’université de la Sorbonne nouvelle Paris III, sur Émile Zola, Médan et l’antisémitisme



   Monsieur Alain Pagès, spécialiste d’Émile Zola, vous êtes Professeur à l’université de la Sorbonne nouvelle Paris III  et avez publié plusieurs ouvrages. Vous publiez, cette fois, « Zola et le groupe de Médan » aux Éditions Perrin. Publié le 17 avril 1880, le recueil des Soirées de Médan rassemble autour d’Émile Zola cinq de ses amis : Maupassant, Huysmans, Henry Géard, Léon Hennique et Paul Alexis. De quoi s’agissait-il ? Votre livre est-il l’histoire de ces écrivains ?

 Le sujet du livre est, en effet, l’histoire des écrivains des « Soirées de Médan ». Il part de cet épisode à travers lequel on résume souvent l’histoire du mouvement naturaliste : la publication, en avril 1880, d’un recueil de nouvelles auquel sont associés les noms de six écrivains, ceux d’Émile Zola et de ses « disciples », Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique et Paul Alexis. Mais il ne se limite pas à cet épisode. Il choisit de commencer bien avant l’année 1880, en s’ouvrant sur l’exposé de la jeunesse de Zola à Aix-en-Provence. Puis il met en scène, les uns après les autres, tous les épisodes de la bataille naturaliste. Après avoir dépassé la mort de Zola (en 1902), il se poursuit encore, et s’achève en 1930, au moment de la commémoration du cinquantenaire des Soirées de Médan. Il parcourt ainsi plus d’un siècle d’histoire littéraire. En montrant les liens qui unissent les événements entre eux, il retrace les différents épisodes qui ont jalonné cette histoire, de la bataille de L’Assommoir, en 1877, à la fondation de l’Académie Goncourt, au début du XXe siècle. Il évoque des moments de réussite comme des échecs, des périodes d’exaltation comme des affrontements, lorsque quelques disciples rebelles (connus sous le nom d’écrivains du « Manifeste des Cinq ») décident de se révolter contre l’autorité du maître. En somme, il donne à voir, avec ses bonheurs et ses drames, une aventure collective, vécue par des écrivains que réunissait une même croyance dans la capacité de la littérature à représenter le mécanisme des réalités sociales.

Marc Knobel

Dans ce tableau d’ensemble quelle position occupe Zola ? 
Que veut-il ? 
Que cherche-t-il ? 
Est-ce pour lui un moteur, un laboratoire d’écriture ou un moteur de l’écriture ?

   Dans cette biographie collective, Émile Zola occupe une place centrale. Cet ouvrage entend présenter l’auteur de L’Assommoir et de Germinal sous un jour nouveau. Il décrit un écrivain qui, depuis sa jeunesse, a souhaité vivre la création littéraire comme une expérience de groupe, en faisant de l’amitié un moteur de l’écriture. Zola s’inspire du modèle romantique du cénacle dont Balzac a donné une illustration dans son roman les Illusions perdues. C’est un thème qui parcourt tout le XIXe siècle –l’idéal d’une création littéraire se réalisant à travers le groupe, fédérant l’énergie de jeunes écrivains décidés à entrer sur la scène littéraire en unissant leurs forces pour mieux franchir les obstacles que leur opposent les générations antérieures.

 Bref, Zola est enthousiaste…

   Oui, c’est un Zola plein d’énergie que je montre. Il incite ses amis à le suivre, à l’imiter dans sa méthode de travail, à dépasser le découragement qui les empêche d’écrire. « Ce n’est qu’avec des œuvres que nous nous affirmerons ; les œuvres ferment la bouche des impuissants et décident seules des grands mouvements littéraires », lance-t-il à ses amis... C’est un chef d’école exigeant, déterminé, mais il se refuse, malgré tout, à apparaître comme un pontife autoritaire, tel que pouvait être Victor Hugo, au même moment. Il tient à préserver les liens d’amitié qui les unissent tous. Il veut plutôt se présenter comme un aîné, un grand frère, qui a eu la chance de réussir, en publiant L’Assommoir, qui possède donc un peu d’avance, et peut entraîner les autres dans son sillage.

On parle souvent du pèlerinage de Médan, de quoi s’agit-il ?

   Il s’agit d’une cérémonie d’hommage à Zola qui se tient tous les ans à Médan, au début du mois d’octobre. Cette cérémonie se déroule dans l’ancienne maison de Zola à Médan, située entre Triel et Villennes, à une quarantaine de kilomètres de Paris.  Zola a acheté cette maison en 1878 ; il y a écrit la plupart de ses grands romans, de Nana à Germinal ou à La Bête humaine. C’est en 1903, un an après la mort de Zola, qu’un groupe d’amis et de disciples a lancé l’idée de cette réunion annuelle. La tradition du « pèlerinage » s’est poursuivie jusqu’à nos jours, en dépit de quelques interruptions pendant les deux guerres mondiales du XXe siècle. À la tribune de Médan se sont succédé les personnalités les plus illustres, écrivains, hommes politiques, évoquant le combat de l’affaire Dreyfus ou parlant de l’œuvre romanesque. On peut énumérer les noms. La liste est longue, de Louis-Ferdinand Céline (en 1933) à Louis Aragon (en 1946), ou de François Mitterrand (en 1976) à Jacques  Chirac (en 2002). Plus récemment, au cours de ces dernières années : Claude Lanzmann (en 2009), Laure Adler (en 2010), Nicolas Demorand (en 2011), Vincent Peillon (en 2012), Bernard-Henri Lévy (en 2013)…  Il faut ajouter que la maison est devenue aujourd’hui un musée littéraire. Une restauration des lieux est en cours, grâce au mécénat de Pierre Bergé. L’association qui la gère s’appelle : « Maison Zola – Musée Dreyfus ». Elle s’est donné pour objectif d’associer dans un même espace le souvenir de l’affaire Dreyfus à la figure de l’auteur des Rougon-Macquart et de « J’accuse ».

On parle également beaucoup de la mort d’Émile Zola, quelle est votre hypothèse à ce sujet ?

   Effectivement, on en parle beaucoup. Une émission de télévision, dans la série des émissions de « L’Ombre d’un doute », a été consacrée récemment à ce sujet. J’ai fait partie des historiens qui ont été interrogés dans le cadre de cette émission, parce que j’ai conduit sur cette question une enquête dont les résultats ont été livrés dans un livre publié il y a quelques années. Je rappellerai rapidement les faits, tels qu’on peut les présenter aujourd’hui…

Zola est mort le 29 septembre 1902, asphyxié par des émanations d’oxyde de carbone produites par la cheminée de sa chambre à coucher. L’enquête a montré que le conduit de sa cheminée était bouché. On a conclu à un accident. Un quart de siècle plus tard, cependant, un fumiste du nom d’Henri Buronfosse a déclaré à l’un de ses amis être le responsable de cette mort : profitant de travaux réalisés sur le toit d’une maison voisine, il aurait bouché la cheminée de la chambre à coucher, puis l’aurait débouchée peu après, de telle sorte que personne n’a pu le soupçonner. Cette confession tardive est assez bizarre. Mais elle est plausible. On peut penser qu’elle n’a pas été faite par un fou ou un mythomane. Henri Buronfosse était membre de la Ligue des Patriotes, fondée par Déroulède ; il appartenait même au service d’ordre de la Ligue ; il faisait partie de ces esprits que la passion nationaliste aveuglait et qui haïssaient au plus haut point l’auteur de « J’accuse ». Il est donc tout à fait vraisemblable qu’un soir de septembre 1902, il ait bouché la cheminée de Zola – de Zola le « traître », coupable, à ses yeux, d’avoir porté atteinte à l’honneur de l’armée parce qu’il avait défendu Dreyfus.

 Tout au long de votre vie, vous avez étudié ce grand romancier. Pourquoi consacre-t-on tout une vie à étudier Zola et, au final, que comprend-on de son époque et de la nôtre ?

   C’est vrai,  je ne ressens aucune lassitude. D’abord, parce que l’œuvre de Zola est immense. On peut passer sa vie à la lire et à la relire, sans l’épuiser entièrement : romans, nouvelles, théâtre, chroniques politiques, textes de critique littéraire, c’est une œuvre d’une très grande diversité ; certaines pages ont vieilli, sans doute, marquées par leur époque, mais l’essentiel de l’œuvre – soit dans le domaine du roman, soit dans l’expression de la pensée littéraire ou politique – demeure d’une extraordinaire actualité. D’une force étonnante dans la formulation des idées. Et il y a une seconde raison à mon admiration. Zola me surprend toujours. Je suis en train de terminer actuellement l’édition des lettres inédites de Zola à sa femme Alexandrine (en collaboration avec Brigitte Emile-Zola, qui détenait ces textes, et une équipe d’amis qui m’ont aidé dans le travail d’annotation). Quand le volume paraîtra chez Gallimard, en octobre prochain, le lecteur découvrira un Zola intime, livrant ses sentiments, comme jamais il ne l’a fait. Toutes ces découvertes intellectuelles font qu’on ne se lasse pas de fréquenter un tel écrivain.

Aujourd’hui, l’essayiste Alain Soral a réédité la France Juive d’Édouard Drumont. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Que vous inspirent les slogans qui ont été scandés par certains individus lors de la manifestation « jour de colère » : « Juif, la France n’est pas à toi » ?

   On peut rééditer La France juive de Drumont. Il n’est pas interdit de le faire. Le texte est d’ailleurs disponible en ligne sur Gallica. Mais je dirai que l’ouvrage de Drumont nécessite d’abord une véritable édition critique, faite par un historien qui soit capable d’analyser les racines de l’antisémitisme dans la seconde moitié du XIXe siècle pour en montrer les terribles conséquences dans le siècle qui a suivi. Devant le spectacle de ceux qui ont manifesté récemment dans les rues de Paris, je ressens ce que ressentait Zola lorsque, dans sa « Lettre à la jeunesse », publiée en décembre 1897, quelques semaines avant « J’accuse », il s’indignait de voir des étudiants antisémites manifester dans le Quartier latin : « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! Cent ans après la déclaration des droits de l’homme, cent ans après l’acte suprême de tolérance et d’émancipation, on en revient aux guerres de religion, au plus odieux et au plus sot des fanatismes ! » Ces paroles, hélas, sont toujours d’actualité !

Marc Knobel
CRIF
Antisémitisme

Source:
https://www.crif.org/fr/tribune/entretien-avec-alain-pag%25C3%25A8s-zola-m%25C3%25A9dan-et-l%25E2%2580%2599antis%25C3%25A9mitisme/49280

Réédité  par André PAILLÉ
www.emilezola.ca 


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