Les Grands Écrivains [... ZOLA ] Publiés dans le Figaro
Préface de Jean d'Ormesson


INÉDIT - L'anthologie réalisée par Le Figaro montre que celui-ci a toujours fait appel aux grandes plumes du moment. Le Figaro Littérairepublie la préface de Jean d'Ormesson.


Toujours jeune et au premier rang de nos journaux nationaux, Le Figaro peut se vanter aussi d'être le plus ancien des titres de la presse quotidienne française. Dans une quinzaine d'années, il fêtera son deuxième centenaire. Et depuis plus de cent cinquante ans, il est par excellence le journal des écrivains.

De Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Barbey d'Aurevilly, Maupassant et Mauriac à Valéry et à Claudel, la liste des écrivains qui ont publié des textes dans Le Figaro est impressionnante. Elle frappe surtout par sa diversité. L'Académie y est largement représentée, mais adversaires des institutions et francs-tireurs ne manquent pas. La gauche y est aussi active que la droite. Vallès, Zola, Mirbeau et Gide y côtoient Bernanos, Montherlant ou Paul Morand. La liberté règne. Et le talent.


Émile Zola publie dans L'Aurore sa fameuse lettre «J'accuse».
Mais pendant trente ans, de 1866 à 1897, il donne au Figaro, sur la littérature, sur l'amour, contre les hommes d'esprit, pour les juifs, des chroniques remarquables d'intelligence et de force, et qui se lisent encore aujourd'hui avec beaucoup de plaisir et d'intérêt. À propos du divorce et des débats qui s'instaurent à son sujet, Zola écrit dans Le Figaro ces mots qui éclairent toute son œuvre:

«Le rôle véritable du grand écrivain n'est pas de plaider des causes sociales; son rôle est d'étudier l'humanité et de la peindre […] Les sociétés passent et l'homme reste. Toute la littérature qui n'est que sociale, humanitaire, progressive, devient illisible et ridicule au bout d'un demi-siècle; tandis que les œuvres écrites sur l'homme sont éternelles comme l'humanité elle-même.»

Du coup, il émet des doutes sur le théâtre à succès de son temps:

«À la place de M. Dumas fils, je tremblerais pour mes pièces à thèse, pour celles qui ont le plus remué les contemporains. Les thèses vieillissent vite.»

Il n'est pas plus tendre pour Dumas père. Il lui oppose Stendhal, Flaubert, Michelet - et surtout Balzac:

«Nous ne repoussons pas Alexandre Dumas. Nous demandons simplement que Balzac passe le premier […] Je donnerai cent francs pour la statue d'Alexandre Dumas, lorsque j'aurai donné mille francs pour la statue de Balzac.»



Un quart de siècle plus tard, très loin de Zola - et aussi de Balzac -, un autre géant, Marcel Proust, publie dans Le Figaro un texte important, bien connu de ses admirateurs, «Sentiments filiaux d'un parricide». On voit, dans ces pages, l'auteur de La Recherche «jeter un regard sur Le Figaro, procéder à cet acte abominable et voluptueux qui s'appelle lire le journal et grâce auquel tous les malheurs et les cataclysmes de l'univers pendant les dernières vingt-quatre heures, les batailles qui ont coûté la vie à cinquante mille hommes, les crimes, les grèves, les banqueroutes, les incendies, les empoisonnements, les suicides, les divorces, les cruelles émotions de l'homme d'État et de l'acteur, transmués pour notre usage personnel à nous qui n'y sommes pas intéressés en un régal matinal, s'associent excellemment, d'une façon particulièrement excitante et tonique, à l'ingestion recommandée de quelques gorgées de café au lait.» Dans cette phrase interminable, si représentative de son art, Proust illustre très bien ce que Hegel appelait «la prière du matin» de la modernité: la lecture du journal.

Bien d'autres trésors figurent dans ce recueil. Colette y avoue sa réticence à écrire: «Non, je ne voulais pas écrire. Quand on peut pénétrer dans le royaume enchanté de la lecture, pourquoi écrire? Cette répugnance que m'inspirait le geste d'écrire, n'était-elle pas un conseil providentiel? Il est un peu tard pour que je m'interroge là-dessus. Ce qui est fait est fait. Mais dans ma jeunesse je n'ai jamais, jamais, désiré écrire. […] Car je sentais, chaque jour mieux, je sentais que j'étais justement faite pour ne pas écrire.»

Et Bernanos ! Il cite Benoît XV qui, dès 1920, à l'époque où la révolution enflammait les esprits, a ces paroles prémonitoires dans son Motu proprio: «Voici que mûrit l'idée d'une République universelle basée sur le principe d'égalité absolue des hommes et la communauté des biens d'où soit bannie toute distinction de nationalité… Mises en pratique, ces théories doivent fatalement déchaîner un régime de terreur inouïe.»

Et Valéry ! C'est dans une chronique du Figaro, intitulée «Fluctuations sur le mot “Liberté”», que figure la formule célèbre: «Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous périssons.»

Il faudrait parler de Maupassant, de Barrès, de Morand, de Cocteau, de Gide, de tant d'autres qui ont choisi Le Figaro pour s'exprimer. Ah ! bien sûr, il faudrait parler de Mauriac: «Une certaine souffrance et même un certain désespoir sont aussi du bonheur. […] Ce soir, criblés par les flèches du couchant (que le soleil est lent à disparaître !), nous songeons à ces jours sombres où les embruns, sur notre figure, auront ce goût de sel qui nous est familier depuis les larmes de la petite enfance.» Mais chacun sait que la vie et l'œuvre de Mauriac se confondent en partie avec Le Figaro. Et la place manque.

Un mot pourtant sur Claudel. Le lecteur trouvera dans ce recueil deux poèmes de l'auteur du Soulier de satin: Paroles au Maréchal, de mai 1941, et Au général de Gaulle, de décembre 1944. Dans le premier poème, le poète parle à la France :

«France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père.
Fille de saint Louis, écoute-le ! Et dis, en as-tu assez, maintenant, de la politique?
Écoute cette voix raisonnable sur toi qui propose et qui explique,
Cette proposition comme de l'huile et cette vérité comme de l'or !»
Et dans le second cette fois, c'est la France elle-même qui parle :

«Et vous, monsieur le général, qui êtes mon fils, et vous qui êtes mon sang, et vous, monsieur le soldat ! Et vous, monsieur mon fils à la fin qui êtes arrivé !
Regardez-moi dans les yeux, monsieur mon fils, et dites-moi si vous me reconnaissez !»
Que s'est-il donc passé? Ce qui s'est passé? Entre les deux textes, l'histoire a passé.



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