Manet
Un hors-série... impressionnant
ANTOINE CERRUTI
04/04/2011 | Mise à jour : 09:12
Manet, un certain regard, 114p., 7,90€ (en kiosques).
Expo | 2 Avril 2011 | Mise à jour le 3 Avril 2011
Manet plus moderne que jamais
La rétrospective qui ouvre mardi au musée d'Orsay revisite ce peintre majeur de l'histoire de l'art et veut changer le regard du public.
"La peinture, c’est une affaire d’intelligence. On la voit chez Manet", disait Picasso. Celui qu’on a longtemps désigné comme le précurseur des impressionnistes, quand il serait plus exactement un compagnon de route et un mécène, est aussi immense que complexe. Malraux a vu en lui un révolutionnaire. Il inspire des vers à Baudelaire, son ami intime. Théophile Gautier se laisse séduire par Le Chanteur espagnol et loue son talent…
Aujourd’hui encore, Manet reste plus grand qu’on ne l’imagine. Il faut régulièrement revisiter l’œuvre pour s’en rendre compte. Presque trente ans après l’imposante rétrospective du Grand Palais, en 1983, qui célébrait le centenaire de sa mort (1832-1883), une nouvelle manifestation éclaire son itinéraire au musée d’Orsay, sous le commissariat de Stéphane Guégan. Trois décennies, c’est beaucoup, mais elles permettent de laisser évoluer le regard, d’effectuer des remises à niveau, de revenir sur les idées reçues, voire d’abolir quelques mythologies, comme celle de l’artiste révolté qu’il n’a jamais été.
Pour Stéphane Guégan, Manet était plus un postromantique qu’un précurseur de l’impressionnisme. Même si Renoir, Monet et d’autres l’ont beaucoup regardé. "Il a fait entrer le sujet moderne dans les dimensions et les ambitions de la peinture ancienne. On veut ici donner de nouvelles clés de lecture au public. Il faut oublier tout ce qu’on vous a dit et partir à la rencontre d’un artiste qui a su saisir son époque."
Le scandale du Déjeuner sur l’herbe
En près de 200 numéros, outre la confortable collection du musée d’Orsay, on verra ici des réunions d’œuvres exceptionnelles car jamais vues ensemble ou pas exposées à Paris depuis des lustres. C’est le cas des peintures "religieuses", de l’Amazone du musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, des prêts du musée de Boston, comme La Chanteuse de rue ou Portrait de Victorine Meurent, sans parler des toiles du Metropolitan Museum de New York, de Budapest, Londres, Chicago, San Francisco, Francfort, Zurich, etc. Un pari pour une manifestation d’envergure, que l’on mesure à l’aune de la production de l’artiste : 400 œuvres seulement quand Monet, par exemple, en a peint près de 3.000.
Dans un parcours chronologique et thématique, sur des cimaises jaunes, fuchsia, aubergine, vertes, Manet se raconte à merveille. On pourra s’étonner qu’un tableau signé Fantin-Latour ouvre l’exposition. Pour Stéphane Guégan, cet Hommage à Delacroix (1864) mort l’année précédente, pose la question des liens entre Manet et la culture romantique. Le positionne aussi dans l’histoire de l’art. Sur la toile, on reconnaît d’ailleurs Manet, Whistler, Fantin…
Il regarde la mort et parle de l’humanité
À cette époque, Manet n’est pas vraiment connu, mais a déjà provoqué un vrai scandale. Celui du Déjeuner sur l’herbe (1863) représentant une femme nue dans un contexte contemporain. Cédant à la vindicte et aux pétitions, l’empereur Napoléon III a décidé de montrer les Refusés. Et là "dans la plus reculée des salles, l’œuvre troue le mur". Les critiques la laminent. Pas tous certes. Baudelaire active son réseau. Manet, en quête de succès et "surtout pas de marginalité", veut d’abord être reconnu. "Il se demande comment faire vivre la peinture d’histoire en la renouvelant en profondeur, tout en tutoyant Titien ou Raphaël. Paris, à cette époque, se transforme, vit une révolution. Le monde fait l’expérience de la vitesse, explique le commissaire. L’image se diffuse dans tous les médiums." Le scandale suivant a lieu en 1865. Olympia, autre femme nue, choque et met le feu chez les plumitifs. Manet, qui sort de sa période espagnole, est encore sous le choc des 40 Velázquez qu’il a découverts au Prado.
Lui qui n’aime pas l’Espagne se damnerait pour le maître sévillan. Il va livrer quelques toiles qui frôlent le sublime, comme Le Chanteur, Lola de Valence ou Le Torero mort, qu’il a coupé en deux (on ne verra pas les arènes, qui ne sortent pas de leur fondation américaine). Manet regarde la mort et parle de l’humanité avec un grand H. Car ce fils de grands-bourgeois, né à Saint-Germain-des-Prés, est aussi un républicain radical. Un anticlérical autoproclamé, ce qui ne l’empêche pas de connaître ses évangiles et de peindre des sujets religieux. Mais c’est dans l’art du portrait que l’artiste possède une maîtrise absolue. Dans l’exposition, on peut voir aussi à quel point il aimait représenter les femmes. "Dans chaque salle, il y a au moins un ou deux chefs-d’œuvre."
Peintre urbain, du moderne et de l’actualité, l’artiste habille sa peinture d’une dimension sociale. Les événements de la guerre franco-prussienne, de la Commune, l’inspirent. "Avec lui, poursuit Stéphane Guégan, on n’est jamais dans un lieu idéal, comme chez les impressionnistes. Il y a toujours une tension, un mystère." C’est sur les deux versions de L’Évasion de Rochefort (opposant à Napoléon III), l’une française, l’autre suisse, que s’achève l’exposition. Vision dantesque, bleutée et crépusculaire d’une barque peuplée et bousculée par les flots.
Manet, inventeur du moderne, du 5 avril au 3 juillet, musée d’Orsay. Ouvert tlj sauf le lundi. Rens. : 01 40 49 48 14 et www.musee-orsay.fr Lire : catalogue de l’expo, Gallimard, 304 p., 255 illustrations, 42 euros. Manet, l’héroïsme de la vie moderne, Découvertes Gallimard, 8,40 euros.
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