Henri MITTERAND
Sommaire
L'un des tout premiers spétes de Zola donne à voir l'architecture socio-historique qui assure aux Rougon-Macquart leur cohérence secrète.
Caractéristiques
* 240 pages
* ISBN : 978-2-13-057082-0
* Collection "Hors collection"
* N° d'édition : 1
* Date de parution : 11/02/2009
* Discipline : Littérature/Linguistique/Crit. litt.
* Sous-discipline : Ouv. généraux Histoire et critique litt.
L'ouvrage
Lorsque Zola a choisi le mot naturalisme pour définir sa conception du roman, il n’a sans doute pas mesuré à quel point la réception de son œuvre proprement romanesque allait en souffrir. Il s’assurait ainsi une célébrité durable dans les manuels d’histoire littéraire et dans la réserve de clichés de la critique au quotidien. Mais il dissimulait, et d’abord peut-être à ses propres yeux, la véritable nature de son génie. Sans sous-estimer l’originalité et la force doctrinales de son discours théorique et critique, ni l’éclat de ses enquêtes sociales, l’analyse moderne reverse du côté du désir de récit sa fascination pour la pensée de son temps, celle de Michelet, de Lucas, de Taine, elle-même marquée par l’attrait des grands récits de genèse.
Qu’on ne soit pas dupe des raideurs du roman expérimental. Zola, tel qu’en lui-même, n’est pas un homme de systèmes et de modèles, mais avant tout un conteur, un peintre, un poète. Seul et monumental. Le public d’aujourd’hui reconnaît la démesure d’une œuvre visionnaire aux multiples profondeurs, rythmée par ses prises de vues sur les décors de l’existence humaine, sa scénographie des fièvres et des violences du corps et de l’histoire, ses glissades dans l’étrangeté et le chaos de la vie, ses détraquements du réel sous le poids des mythes immémoriaux. « Le souffle de la passion », selon les propres mots de Zola, partout présent.
Table des matières
Introduction. — Pour libérer Zola du « naturalisme »
Première partie. — Genèses
I. Trios tragiques
II. Une archéologie romanesque
III. L'origine des « mondes »
IV. Mémoire de la violence
Deuxième partie. — Le lieu et le sens
I. Espaces de l'histoire et espaces du roman
II. Un corps dans la ville
III. L'envers de la Belle Époque
Troisième partie. — Dépassements
I. Le « rêveur définitif »
II. Passage de l'Ouragan
III. Abymes zoliens
Quatrième partie. — Vérités
I. Face aux pouvoirs
II. Mise au point : Zola et Cézanne
Henri Mitterand est professeur émérite à l'Université de Paris Sorbonne. Il est auteur de plusieurs ouvrages, dont le « Que sais-je ? » Zola et le naturalisme.
SOURCE :
http://www.puf.com/wiki/Autres_Collections:Zola,_tel_qu%27en_lui-m%C3%AAme
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Une approche de l'architecture socio-historique qui assure aux «Rougon-Macquart» leur cohérence secrète. L'auteur démontre que le tableau historique des conditions sociales et des institutions décrites par Zola est sous-tendu par la saisie anthropologique d'une culture dans ses fondements et d'une société dans ses conduites primordiales : l'argent et le sexe.
SOURCE:
http://www.mollat.com/search/RapidSearch.aspx
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Natacha Milkoff
Le conteur venu d'ailleurs
Henri Mitterand, reconnu internationalement comme "le" spécialiste de Zola, n'en a pas fini avec son auteur de prédilection : à quatre-vingts ans passés, celui à qui l'on doit déjà une dizaine d'essais sur l'écrivain, l'édition complète de son oeuvre dans la Pléiade, ainsi qu'une imposante biographie en trois tomes parue en 2002, revient une nouvelle fois sur celui qu'on surnomma le «père du naturalisme».
Le titre, Zola tel qu'en lui-même, est à lui seul tout un programme : dès l'introduction, Mitterand défend la nécessaire rénovation de l'approche du grand écrivain, dont l'oeuvre romanesque a trop souvent été comprise comme la stricte application de ses propres théories littéraires. En effet, il rappelle que c'est Zola lui-même qui inventa le concept de «naturalisme» - qu'il préféra au terme «réalisme» - et que les innombrables développements qu'il publia sur ce thème ont entraîné les analystes à le croire sur parole, au risque de passer à côté de tout un pan de son génie : «on a ainsi confondu ce que la linguistique moderne nous a appris à distinguer : le discours et le récit» (p.VIII). En effet, si l'on a souvent réduit Zola au positiviste disciple de Taine et Lucas, voire au scientiste appliqué à démontrer la véracité des thèses sur l'hérédité et le déterminisme biologique de son temps, Mitterand démontre qu'il est également - et peut-être surtout - un conteur à l'imagination immense, dont la démesure tranche avec le rationalisme dont il se prévalait. Il n'est cependant pas question pour Mitterand de remettre en cause le naturalisme zolien, mais de le relativiser», en pratiquant «un aller-retour permanent du discours au récit et du récit au discours» (p.XI). Mitterand se propose donc de relire l'oeuvre de Zola, ou plutôt de la «dé-lire», en distinguant plusieurs périodes au cours desquelles le discours de l'écrivain a lui-même évolué, imprimant à ses romans de nouveaux objectifs.
Dans la partie consacrée aux genèses de son oeuvre, il revient sur les sources multiples de la personnalité intellectuelle de Zola, mêlant influences romantiques issues de ses lectures de jeunesse de Michelet et d'Hugo, auxquelles s'agrégèrent le positivisme de Taine et de Lucas, ainsi que le travail et les recherches des peintres impressionnistes. Dès ses premiers romans, Zola applique une méthode qui restera immuable tout au long de sa vie : l'écriture de chaque oeuvre est précédée par un immense travail préparatoire, les «avant-textes», constitués de centaines de feuillets, qui comprenaient toujours une ébauche du projet, les fiches détaillées des personnages, le plan détaillé et à plusieurs reprises remanié, ainsi que de multiples notes de lectures ou d'enquêtes. Une documentation si dense qu'elle n'a été encore qu'insuffisamment étudiée et qui permettrait, si les chercheurs prenaient la peine de la dépouiller exhaustivement, de mieux comprendre le processus de création de l'oeuvre, beaucoup plus complexe encore que ce qu'on en sait déjà. Car si à première vue le travail de Zola s'apparente fortement à une «écriture à programme», l'étude approfondie des allers-retours incessants de l'écrivain entre les avant-textes et l'écriture finale des romans, montre qu'il déconstruisait souvent son modèle au fur et à mesure : comme si entre le projet de départ et sa réalisation finale s'immisçait ce sur quoi Zola n'a jamais discouru, à savoir les composantes mythiques de son imaginaire, la puissance de sa rêverie, et son trop-plein de déraison.
Une autre étude qui mériterait selon Mitterand d'être aujourd'hui poussée plus avant est celle de la spatiographie romanesque de Zola : les villes, les quartiers, les campagnes sont décrits dans la fiction avec une minutie, une précision et une intuition telles que l'historiographie aurait tort, comme elle l'a souvent fait, de négliger leur valeur de témoignage, aussi bien sur l'espace industriel de l'époque que sur la perception du vécu de cet espace par les mentalités populaires. Un travail sur l'espace qui s'intensifie en même temps qu'il évolue dans les dix dernières années de sa vie : avec Les Trois Villes, après plus de vingt ans passés à la série des Rougon-Macquart (1871-1893) - qui prétendaient autant étudier les tares héréditaires d'une famille sur cinq générations que dépeindre la société du Second Empire -, Zola semble chercher à donner une autre allure au roman. Le naturaliste qu'il s'est toujours prétendu être laisse ainsi place au «grand rêveur des étrangetés de la ville», que Mitterand n'hésite pas à apparenter déjà, avec vingt ans d'avance, aux surréalistes !
Zola rêveur, fantaisiste, monstre de démesure, mais aussi véritable génie politique, comparable en son temps à ce que furent Voltaire et Hugo : Mitterand rappelle que dans toute sa carrière littéraire, depuis ses débuts de journaliste chroniqueur, jusqu'à son rôle dans l'affaire Dreyfus, il n'a cessé de se montrer un républicain convaincu et critique : censuré sous le Second Empire, il n'en dénoncera pas moins les compromis et les détours de la IIIe République, toujours près à conspuer la censure, le césarisme et le racisme.
On retiendra finalement un point essentiel de ces deux-cents pages proches de l'hagiographie, parfois polémiques même, tant Mitterand ose s'aventurer loin dans les pistes qu'il emprunte : qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir aux analystes littéraires pour comprendre tout le processus de création de l'oeuvre zolienne, et que la révision critique est loin d'être achevée. Près de cent ans après sa mort, on est loin d'avoir mesuré l'immensité du génie littéraire, la folie d'invention et d'écriture, de celui que Mitterand n'hésite pas à définir, dès les premières pages de son introduction, comme «un conteur qui vient d'ailleurs, (...) un Grec des débuts de la tragédie, qui obéit instinctivement aux principes de la démesure plus qu'à ceux de la rationalité».
Mitterand ne prétend pas à cet égard apporter toutes les réponses, mais semble vouloir réveiller, par un aiguillon très socratique, une critique moderne aux jugements prématurément définitifs. Comme s'il voulait s'assurer, en passant le flambeau des études zoliennes, que ses successeurs ne le laisseront pas s'éteindre.
Dans la partie consacrée aux genèses de son oeuvre, il revient sur les sources multiples de la personnalité intellectuelle de Zola, mêlant influences romantiques issues de ses lectures de jeunesse de Michelet et d'Hugo, auxquelles s'agrégèrent le positivisme de Taine et de Lucas, ainsi que le travail et les recherches des peintres impressionnistes. Dès ses premiers romans, Zola applique une méthode qui restera immuable tout au long de sa vie : l'écriture de chaque oeuvre est précédée par un immense travail préparatoire, les «avant-textes», constitués de centaines de feuillets, qui comprenaient toujours une ébauche du projet, les fiches détaillées des personnages, le plan détaillé et à plusieurs reprises remanié, ainsi que de multiples notes de lectures ou d'enquêtes. Une documentation si dense qu'elle n'a été encore qu'insuffisamment étudiée et qui permettrait, si les chercheurs prenaient la peine de la dépouiller exhaustivement, de mieux comprendre le processus de création de l'oeuvre, beaucoup plus complexe encore que ce qu'on en sait déjà. Car si à première vue le travail de Zola s'apparente fortement à une «écriture à programme», l'étude approfondie des allers-retours incessants de l'écrivain entre les avant-textes et l'écriture finale des romans, montre qu'il déconstruisait souvent son modèle au fur et à mesure : comme si entre le projet de départ et sa réalisation finale s'immisçait ce sur quoi Zola n'a jamais discouru, à savoir les composantes mythiques de son imaginaire, la puissance de sa rêverie, et son trop-plein de déraison.
Une autre étude qui mériterait selon Mitterand d'être aujourd'hui poussée plus avant est celle de la spatiographie romanesque de Zola : les villes, les quartiers, les campagnes sont décrits dans la fiction avec une minutie, une précision et une intuition telles que l'historiographie aurait tort, comme elle l'a souvent fait, de négliger leur valeur de témoignage, aussi bien sur l'espace industriel de l'époque que sur la perception du vécu de cet espace par les mentalités populaires. Un travail sur l'espace qui s'intensifie en même temps qu'il évolue dans les dix dernières années de sa vie : avec Les Trois Villes, après plus de vingt ans passés à la série des Rougon-Macquart (1871-1893) - qui prétendaient autant étudier les tares héréditaires d'une famille sur cinq générations que dépeindre la société du Second Empire -, Zola semble chercher à donner une autre allure au roman. Le naturaliste qu'il s'est toujours prétendu être laisse ainsi place au «grand rêveur des étrangetés de la ville», que Mitterand n'hésite pas à apparenter déjà, avec vingt ans d'avance, aux surréalistes !
Zola rêveur, fantaisiste, monstre de démesure, mais aussi véritable génie politique, comparable en son temps à ce que furent Voltaire et Hugo : Mitterand rappelle que dans toute sa carrière littéraire, depuis ses débuts de journaliste chroniqueur, jusqu'à son rôle dans l'affaire Dreyfus, il n'a cessé de se montrer un républicain convaincu et critique : censuré sous le Second Empire, il n'en dénoncera pas moins les compromis et les détours de la IIIe République, toujours près à conspuer la censure, le césarisme et le racisme.
On retiendra finalement un point essentiel de ces deux-cents pages proches de l'hagiographie, parfois polémiques même, tant Mitterand ose s'aventurer loin dans les pistes qu'il emprunte : qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir aux analystes littéraires pour comprendre tout le processus de création de l'oeuvre zolienne, et que la révision critique est loin d'être achevée. Près de cent ans après sa mort, on est loin d'avoir mesuré l'immensité du génie littéraire, la folie d'invention et d'écriture, de celui que Mitterand n'hésite pas à définir, dès les premières pages de son introduction, comme «un conteur qui vient d'ailleurs, (...) un Grec des débuts de la tragédie, qui obéit instinctivement aux principes de la démesure plus qu'à ceux de la rationalité».
Mitterand ne prétend pas à cet égard apporter toutes les réponses, mais semble vouloir réveiller, par un aiguillon très socratique, une critique moderne aux jugements prématurément définitifs. Comme s'il voulait s'assurer, en passant le flambeau des études zoliennes, que ses successeurs ne le laisseront pas s'éteindre.
Natacha Milkoff 24/03/2009
SOURCE:
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=123&ida=10661
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Thierry PAQUOT
Résumé : Le grand spécialiste de Zola, Henri Mitterand, propose dans ce recueil douze essais sensibles et novateurs sur le romancier.
L’auteur de la monumentale biographie Zola (trois tomes, Sous le regard d’Olympia, 1999, L’Homme de Germinal, 2001 et L’Honneur, 2002, Fayard) et éditeur des Œuvres complètes (Nouveau Monde Éditions, 20 volume, 2002-2008), Henri Mitterand, rassemble dans Zola, tel qu'en lui-même plusieurs essais qui renouvellent la compréhension du romancier et corrigent bien des idées reçues.
Il est vrai que l’étiquette de “naturaliste”, certes commode, qui distingue bien l’auteur des Rougon-Macquart des tenants du réalisme, paraît plutôt réductrice face à l’ampleur de son projet et à la richesse de sa production. Car Émile Zola ne se contente pas d’appliquer à la littérature les acquis de la science, et en particulier des médecins. Certes, il a lu le Traité de l’hérédité naturelle du docteur Lucas, la Physiologie des passions du docteur Letourneau et les ouvrages des médecins aliénistes Trélat, Moreau de Tours et Morel, qu’il ne transpose pas pour autant à ses personnages strictement identifiés à des “cas” cliniques. Il y apporte sa touche romanesque, imaginative, tout en restant fidèle à une description vraisemblable des maux qui les accablent. “De ce point de vue, observe Henri Mitterand, la brève note ‘Famille lâchée dans l’assouvissement moderne’, est plus importante que les ‘Notes générales sur la marche de l’œuvre’, pourtant plus longues, où Zola fait converger tous les éléments qu’il a déjà mis en place : la considération tainienne du milieu, le thème familial, qui s’est dédoublé, la conscience des effets de l’hérédité, la pathologie mentale et morale, et la vision un tant soit peu hallucinée du moment moderne, tenu pour ‘fiévreux’, ‘détraqué’, ‘trouble’, hystérique convulsif : ‘les convulsions fatales de l’enfantement d’un monde’.” Monde comprenant le Sexe, la Mort, Dieu et l’Art et qui est magnifiquement servi par l’intelligence sans égale de son enquête sociale, comme en témoignent ses notes préparatoires, dossiers et carnets, et qui lui permettent de dépasser les deux composantes de ses personnages, le “tempérament” et le “milieu”.
Parmi ces douze études, pointons-en trois particulièrement novatrices et originales : “Espaces de l’histoire et espaces du roman”, “Un corps dans la ville” et “Mise au point : Zola et Cézanne”. Les deux premières s’occupent de l’espace/temps des situations zoliennes et du jeu des corps dans la ville. Les sites sont souvent imaginaires (Montsou, la cité carbonifère de Germinal, n’existe pas) mais Zola veille à toujours bien expliciter les itinéraires de ses personnages, à décrire dans le détail les logements et leur mobilier (Pot Bouille, L’Assommoir, Le Ventre de Paris), les vues (La Curée, Une page d’amour) et les alentours (La Conquête de Plassans, Madeleine Férat), ou encore la nature (La faute de l’abbé Mouret, La Joie, La Terre). Zola dote chacun d’un territoire et d’une place qui influent sur le caractère et même le destin. La troisième étude est un véritable petit dossier (quasi-définitif) sur les relations entre les deux amis d’enfance, Zola et Cézanne : leurs complicités, leurs différends et leur relatif éloignement et brouille. Apprenant la mort d’Émile, Paul s’effondre en larmes, comme quoi…
Refusant de conclure, l’auteur insiste sur ce qu’il nous faut encore découvrir dans une œuvre aussi immense, non pas d’un point de vue quantitatif, mais qualitatif. En effet, on dit méchamment “c’est du Zola”, pour désigner des récits misérabilistes, pleurnichards, au premier degré, alors que le gaillard possédait une plume incomparable qu’il maniait sur un large registre, du pamphlet (le “J’accuse…”) à l’émotion la plus subtile (Le Rêve), en passant par la fantaisie, le reportage, la science-fiction (Travail), l’humour, l’érotisme et plus généralement la sensualité. Sa plume trempe tout autant dans la sueur, les larmes, le sperme que dans l’encre ! Zola se lit très bien et ces essais nous incitent à nous y replonger. Lisons-le !.
Il est vrai que l’étiquette de “naturaliste”, certes commode, qui distingue bien l’auteur des Rougon-Macquart des tenants du réalisme, paraît plutôt réductrice face à l’ampleur de son projet et à la richesse de sa production. Car Émile Zola ne se contente pas d’appliquer à la littérature les acquis de la science, et en particulier des médecins. Certes, il a lu le Traité de l’hérédité naturelle du docteur Lucas, la Physiologie des passions du docteur Letourneau et les ouvrages des médecins aliénistes Trélat, Moreau de Tours et Morel, qu’il ne transpose pas pour autant à ses personnages strictement identifiés à des “cas” cliniques. Il y apporte sa touche romanesque, imaginative, tout en restant fidèle à une description vraisemblable des maux qui les accablent. “De ce point de vue, observe Henri Mitterand, la brève note ‘Famille lâchée dans l’assouvissement moderne’, est plus importante que les ‘Notes générales sur la marche de l’œuvre’, pourtant plus longues, où Zola fait converger tous les éléments qu’il a déjà mis en place : la considération tainienne du milieu, le thème familial, qui s’est dédoublé, la conscience des effets de l’hérédité, la pathologie mentale et morale, et la vision un tant soit peu hallucinée du moment moderne, tenu pour ‘fiévreux’, ‘détraqué’, ‘trouble’, hystérique convulsif : ‘les convulsions fatales de l’enfantement d’un monde’.” Monde comprenant le Sexe, la Mort, Dieu et l’Art et qui est magnifiquement servi par l’intelligence sans égale de son enquête sociale, comme en témoignent ses notes préparatoires, dossiers et carnets, et qui lui permettent de dépasser les deux composantes de ses personnages, le “tempérament” et le “milieu”.
Parmi ces douze études, pointons-en trois particulièrement novatrices et originales : “Espaces de l’histoire et espaces du roman”, “Un corps dans la ville” et “Mise au point : Zola et Cézanne”. Les deux premières s’occupent de l’espace/temps des situations zoliennes et du jeu des corps dans la ville. Les sites sont souvent imaginaires (Montsou, la cité carbonifère de Germinal, n’existe pas) mais Zola veille à toujours bien expliciter les itinéraires de ses personnages, à décrire dans le détail les logements et leur mobilier (Pot Bouille, L’Assommoir, Le Ventre de Paris), les vues (La Curée, Une page d’amour) et les alentours (La Conquête de Plassans, Madeleine Férat), ou encore la nature (La faute de l’abbé Mouret, La Joie, La Terre). Zola dote chacun d’un territoire et d’une place qui influent sur le caractère et même le destin. La troisième étude est un véritable petit dossier (quasi-définitif) sur les relations entre les deux amis d’enfance, Zola et Cézanne : leurs complicités, leurs différends et leur relatif éloignement et brouille. Apprenant la mort d’Émile, Paul s’effondre en larmes, comme quoi…
Refusant de conclure, l’auteur insiste sur ce qu’il nous faut encore découvrir dans une œuvre aussi immense, non pas d’un point de vue quantitatif, mais qualitatif. En effet, on dit méchamment “c’est du Zola”, pour désigner des récits misérabilistes, pleurnichards, au premier degré, alors que le gaillard possédait une plume incomparable qu’il maniait sur un large registre, du pamphlet (le “J’accuse…”) à l’émotion la plus subtile (Le Rêve), en passant par la fantaisie, le reportage, la science-fiction (Travail), l’humour, l’érotisme et plus généralement la sensualité. Sa plume trempe tout autant dans la sueur, les larmes, le sperme que dans l’encre ! Zola se lit très bien et ces essais nous incitent à nous y replonger. Lisons-le !.
Thierry PAQUOT vendredi 27 mars 2009
SOURCE:
http://www.nonfiction.fr/article-2353-zola_tel_quen_mitterand.htm
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Critique " Le Monde "
"Zola, tel qu'en lui-même", d'Henri Mitterand : apprendre à "dé-lire" Zola
LE MONDE DES LIVRES
"Zola, tel qu'en lui-même", d'Henri Mitterand : apprendre à "dé-lire" Zola
LE MONDE DES LIVRES
Zola, tel qu'en lui-même : le titre du dernier essai d'Henri Mitterand s'appliquerait plus justement à l'ensemble de sa propre oeuvre. Qu'apportent de nouveau les articles ici rassemblés ? Qu'ajoutent-ils à l'édition des Rougon-Macquart en "Pléiade", à la gigantesque biographie et à la dizaine d'ouvrages que ce professeur doublement émérite (Sorbonne-Nouvelle et Columbia University) a consacrés au père du naturalisme ? La volonté d'apprendre à "dé-lire" Zola, à le "libérer des commentaires stéréotypés qui l'ont dépeint en positiviste appliqué", en écrivain besogneux pour tout dire.
Deux erreurs sont communément commises : croire Zola sur parole en étouffant ses récits sous le discours (pseudo) scientifique qui les accompagne, ou ne s'intéresser qu'aux bouffées d'imaginaire qui fissurent ce carcan scientiste et déportent les romans du côté du mythe. Une troisième voie existe : elle consiste à explorer la puissance fictionnelle que recèle le projet zolien à son origine même.
Comme Flaubert ou Proust, Zola est l'un de ces écrivains qui ont le plus directement bénéficié des apports de la génétique littéraire, c'est-à-dire du classement, de la transcription et de l'interprétation des manuscrits conservés, depuis les notes préparatoires jusqu'aux épreuves corrigées - plusieurs dizaines de milliers de pages dans le cas de Zola, Germinal comptant à lui seul 1 788 feuillets offerts à la sagacité des chercheurs.
Parmi les toutes premières traces écrites se trouvent ainsi deux notes, la première sur la division en quatre mondes (le peuple, les commerçants, la bourgeoisie et le grand monde...), suivie d'une liste de romans envisagés. "C'est de ces deux paperolles, précise Mitterand, que vont naître 20 volumes, des centaines de personnages, d'épisodes et de tableaux, un quart de siècle d'écriture quotidienne, une renommée planétaire, et plus d'un siècle d'adaptations et d'études..." Mais Les Rougon-Macquart ont ceci de plus singulier encore que le schéma de l'hérédité emprunté au docteur Lucas y a servi de "modèle génératif de récits", autrement dit que la science elle-même y est devenue une source inépuisable de fictions.
Henri Mitterand donne à voir un Zola formaliste là où nous avions l'habitude de le juger naïvement positiviste. "Dé-lire" Zola, c'est donc voir l'imaginaire le plus débridé naître de la connaissance en apparence la plus aride, suivre le déploiement d'une violence archaïque, sous-jacente aux péripéties romanesques, s'attacher aux "crises d'irrationalité" qui perturbent l'ordre du Second Empire, ou encore repérer dans Les Rougon-Macquart ces "faits-glissades" dont parlait André Breton. Car, si Zola n'est pas connu comme précurseur du surréalisme, il n'en pousse pas moins le naturalisme au-delà de ses limites. Il en explore les marges, il l'ouvre à l'érotisme, au rêve, à la révolution. Bref à tout ce qui réfute le procès que Breton instruisait au roman dans son Manifeste du surréalisme en 1924.
ZOLA, TEL QU'EN LUI-MÊME d'Henri Mitterand. Presses universitaires de France, 216 p., 25 €.
Deux erreurs sont communément commises : croire Zola sur parole en étouffant ses récits sous le discours (pseudo) scientifique qui les accompagne, ou ne s'intéresser qu'aux bouffées d'imaginaire qui fissurent ce carcan scientiste et déportent les romans du côté du mythe. Une troisième voie existe : elle consiste à explorer la puissance fictionnelle que recèle le projet zolien à son origine même.
Comme Flaubert ou Proust, Zola est l'un de ces écrivains qui ont le plus directement bénéficié des apports de la génétique littéraire, c'est-à-dire du classement, de la transcription et de l'interprétation des manuscrits conservés, depuis les notes préparatoires jusqu'aux épreuves corrigées - plusieurs dizaines de milliers de pages dans le cas de Zola, Germinal comptant à lui seul 1 788 feuillets offerts à la sagacité des chercheurs.
Parmi les toutes premières traces écrites se trouvent ainsi deux notes, la première sur la division en quatre mondes (le peuple, les commerçants, la bourgeoisie et le grand monde...), suivie d'une liste de romans envisagés. "C'est de ces deux paperolles, précise Mitterand, que vont naître 20 volumes, des centaines de personnages, d'épisodes et de tableaux, un quart de siècle d'écriture quotidienne, une renommée planétaire, et plus d'un siècle d'adaptations et d'études..." Mais Les Rougon-Macquart ont ceci de plus singulier encore que le schéma de l'hérédité emprunté au docteur Lucas y a servi de "modèle génératif de récits", autrement dit que la science elle-même y est devenue une source inépuisable de fictions.
Henri Mitterand donne à voir un Zola formaliste là où nous avions l'habitude de le juger naïvement positiviste. "Dé-lire" Zola, c'est donc voir l'imaginaire le plus débridé naître de la connaissance en apparence la plus aride, suivre le déploiement d'une violence archaïque, sous-jacente aux péripéties romanesques, s'attacher aux "crises d'irrationalité" qui perturbent l'ordre du Second Empire, ou encore repérer dans Les Rougon-Macquart ces "faits-glissades" dont parlait André Breton. Car, si Zola n'est pas connu comme précurseur du surréalisme, il n'en pousse pas moins le naturalisme au-delà de ses limites. Il en explore les marges, il l'ouvre à l'érotisme, au rêve, à la révolution. Bref à tout ce qui réfute le procès que Breton instruisait au roman dans son Manifeste du surréalisme en 1924.
ZOLA, TEL QU'EN LUI-MÊME d'Henri Mitterand. Presses universitaires de France, 216 p., 25 €.
Jean-Louis Jeannelle
SOURCE:
http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/03/20/zola-tel-qu-en-lui-meme-d-henri-mitterand_1170413_3260.html
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" Édité dans le but de mieux connaître et aimer Émile ZOLA
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