ARCHIVES ~ ÉMILE ZOLA RACONTÉ PAR SA FILLE,

Journal « L’ŒUVRE »

1931 André Billy

(critique littéraire)

Mardi 17 février 1931

Les livres de la semaine

ÉMILE ZOLA RACONTÉ PAR SA FILLE,

Par Denise Le Blond-Zola – ( Fasquelle )

André Billy

Il nous manquait une biographie complète d’Émile Zola. En voici une, la première, et elle est l’œuvre de sa fille Denise, femme de notre excellent confrère Maurice Le Blond. Dans les Œuvres complètes de l’édition Bernouard, en tête des Contes à Ninon, Mme Denise Le Blond-Zola avait publié déjà une vie de son père qui ne tenait guère plus de quarante pages. Il s’agit, cette fois, de tout un livre.

Le cinquantenaire des Soirées de Médan, le vingt-cinquième anniversaire de la mort du grand romancier, la publication de ses Œuvres complètes en cinquante volumes ont ramené l’attention sur Zola. À ces diverses occasions, le naturalisme et son chef ont fourni prétexte à des enquêtes, à des articles contradictoires, d’où il ressortait qu’un bon quart de siècle ne sera pas de trop pour achever d’éclaircir la situation de Zola. On reparlera de lui en 1940, cent ans après sa naissance, et cette fois peut-être la critique et l’histoire littéraire l’auront-elles suffisamment « digéré » pour que son œuvre, réduite à l’état de notions bien dissociées, bien clarifiées, puisse faire l’objet d’une discussion utile. Ce jour-là, le critique qui aura pris la peine de relire dans leur entier les Rougon-Macquart remportera un joli succès et s’assurera sans peine le dernier mot. Dès maintenant, il n’en faudrait pas davantage pour faire progresser de façon sensible un débat auquel personne n’apporte ni le désintéressement ni la passion nécessaires. Personne n’a relu les Rougon-Macquart. On en parle d’après les impressions de lecture vieilles de quinze ou vingt ans. Ce n’est pas très concluant. Et la question Zola reste entière.

«Zola est entré dans cet oubli profond qui suit souvent les grandes renommées, écrivait en 1923 M. Edmond Jaloux. En sortira-t-il ? Et comment… Ce qui éclate aux yeux, c’est la désaffection absolue des jeunes écrivains. Si quelqu’un domine aujourd’hui le nouveau roman français ( comme d’ailleurs l’anglais ou l’allemand), c’est Dostoïewsky. Ou bien c’est le groupe des aventuriers anglo-saxons : Stevenson, Kipling, Jack London : ou nationaux, de Mme de Lafayette à Stendhal et de Benjamin Constant à Proust. Voilà les sources, voilà les racines. Ajoutons-y, pour être complet, Tolstoï et Georges Eliot. Le maître de l’Assommoir n’a plus rien à voir là-dedans. » Huit ans ont passé depuis que ces lignes ont été écrites. Qui oserait soutenir qu’elles traduisent toujours exactement l’état de l’opinion littéraire moyenne ? Des nouveaux venus, entre autres MM. Marcel Aymé, Louis Guilloux et Jean Guehenno, et tout le petit groupe populiste, ont suffi à orienter dans un sens différent les tendances de la plus récente littérature. Zola n’y a point perdu, au contraire. On remarquera que dans la liste dressée en 1923 par M. Edmond Jaloux ne figurait point Balzac, et il est vrai de dire qu’à cette époque celui-ci n’intéressait pas beaucoup les nouveaux venus. Cette indifférence de toute une génération à l’égard du plus grand romancier de tous les pays et de tous les temps fait douter qu’on puisse tenir pour définitif l’oubli où est tombé Zola ; elle fait toucher du doigt ce que cet oubli à de précaire et comme il procède beaucoup plus de l’ignorance, du snobisme, de la mode, que d’une position d’esprit solidement assurée et vraiment critique. Nul doute qu’en tant qu’historien des mœurs, et quelles que soient les défaillances de sa documentation en cette matière. Zola n’ait à compter sur une place presque aussi importante que celle de Balzac et sur un rang peu éloigné de celui qu’occupe l’auteur de La comédie humaine. Il est faux que tout, dans l’art du roman, soit affaire de psychologie et d’atmosphère. On voit où nous a conduits ce préjugé : le roman recommence de s’étioler comme il faisait avant 1914. c’est de ce point de vue que le « populisme », pris dans un sens plus large que celui où l’entendent ordinairement ses fondateurs, apparaît opportun et salutaire.

D’une fille, on n’attend pas qu’elle prenne vis-à-vis de son père une attitude désintéressée. Une apologie, voilà ce que la loi naturelle la plus forte, la plus directe, la plus évidente lui impose de faire. C’est ce qu’avant Mme Le Blond-Zola avait éprouvé Mme Vandeul en écrivant ses Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot, trop souvent contestés. Mais en 1787 les biographies ne se composaient pas avec le même soin que de nos jours. La préoccupation du document y était nulle. Les Mémoires de Mme de Vandeul, rédigés de mémoire, au courant de la plume, et non sans quelques erreurs de chronologies, permettent, pour peu que qu’on les rapproche de Zola raconté par sa fille, de mesurer ce qu’en un siècle et demi les faits et les dates ont gagné dans le respect des honnêtes gens. Je ne crois pas exagérer beaucoup en disant qu’à plusieurs reprises l’étude de Mme Le Blond fait, par l’abondance et la minutie de ses références, songer à une thèse de Sorbonne. Aussi bien n’est-ce pas seulement un Zola intime qu’on nous offre ici : Zola raconté par sa fille n’est rien de moins que la première biographie de quelque importance qu’on ait écrite de l’auteur des Rougon-Macquart. Elle fera souche. On s’y reportera. Elle fournira des points de repère à tous les historiens qui à la suite de Léon Deffoux, étudieront l’époque naturaliste.

Une difficulté toute particulière se présentait à Mme Le Blond-Zola. Elle n’est pas, on le sait la fille de Mme Émile Zola. Le romancier s’était épris d’une jeune femme, Jeanne Rozerot, qui venait « faire des journées » à Médan. Il eut d’elle un fils et une fille. Plus tard, Mme Zola lui permit de les reconnaître et les traita comme ses propres enfants. Combien de femmes auraient montré pareille magnanimité ? Mme Denise Le Blond-Zola a rendu à cette épouse peu commune un juste hommage, mais quel tact, quel doigté, quelle délicatesse ne lui a-t-il pas fallu pour ne pas avoir l’air d’escamoter ce drame intime ou n’y pas appuyer trop lourdement ! Seule une femme pouvait se tirer d’un tel embarras sans donner prise à la malveillance ou à l’ironie. Tout ce que nous dit Mme Le Blond de la liaison de son père avec Jeanne Rozerot, ainsi que des tenants et aboutissants de cette liaison, porte la marque d’une admirable convenance. Aucun effort n’y est visible, aucune gaucherie, aucun entortillement de plume. C’est merveilleux.

Je ne suis malheureusement pas assez versé dans la connaissance des choses naturalistes pour distinguer ce qui, dans cet ouvrage, a été emprunté à des travaux antérieurs et ce qui constitue l’apport personnel de l’auteur, il est évident que toute la partie relative à l’intimité de l’écrivain dans les derniers temps de sa vie offre plus de détails inédits que les chapitres concernant l’enfance, les débuts, les premiers succès. À maintes reprises revient sous la plume de Mme Le Blond le nom de Marius Roux, ami de jeunesse de Zola et son collaborateur pour Les mystères de Marseille. J’espère bien qu’un jour viendra où Léon Deffoux se trouvera en mesure de consacrer à ce curieux bonhomme la monographie à laquelle sa mémoire a droit. Je l’ai connu. Il devait nous conduire, mon vieil ami Louis Sonnet et moi, rue de Bruxelles, quand la mort tragique de Zola vint réduire à néant un projet de visite dont notre enthousia[s]me juvénile s’était nourri longtemps d’avance. Marius Roux était en 1902 un vieillard à la barbe blanche, aux petits yeux clignotants et cyniques, et dont la voix creuse, éraillée, sentait singulièrement le rogomme. Il se tenait tous les soirs chez un mastroquet de la rue Saint-Honoré où nous venions le rejoindre et passions de longues heures à écouter ses intarissables souvenirs. Il avait été aussi l’ami d’Alphonse Daudet et nous contait volontiers des anecdotes sur la vie de bohème qu’avait menée l’auteur des Contes du lundi dans les temps qui avaient suivi son arrivée à Paris. L’histoire de La chèvre de M. Seguin, notamment, m’est restée, telle que la relatait Marius Roux, très présente à l’esprit. Était-elle vraie ? Mariux Roux semblait avoir gardé une imagination bien provençale… Il énumérait avec plaisir les titres de ses romans, édités, comme il se devait chez Dentu : Évariste Planchut, la poche des autres, d’autres encore que je ne me rappelle pas. Je les ai en vain cherchés dans les boîtes des quais. Un jour, le « père Roux », à qui le mastroquet de la rue Saint-Honoré s’était lassé de faire crédit, disparut. Sonnet le retrouva employé chez une revendeuse de reconnaissances du Mont-de-Piété, dans le quartier des Buttes-Chaumont. Puis il disparut de nouveau et nous n’entendimes plus parler de lui. Il est certainement mort, mais où, dans quel taudis ou dans quel hôpital ? Et quand ? Je serais navré que ce vieil homme de lettres aimé de Zola, ce vieux bohème, ce vieil ivrogne, ce vieux tapeur, que paraît à nos yeux de dix-huit ans le prestige d’une vie crapuleuse mais indépendante et vouée à la littérature, eût sombré pour toujours dans les ténèbres extérieures. Puissent ces lignes être lues de quelqu’un qui, l’ayant connu en ses tout derniers jours, voudra bien nous donner de ses nouvelles.

André Billy

Transcription : André Paillé (archives personnelles)

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WIKIPEDIA André Billy http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Billy

André Billy (13 décembre 1882 à Saint-Quentin - 11 avril 1971 à Fontainebleau) fut un écrivain.

Sa vie a été entièrement consacrée aux lettres. Il a été élu membre de l'Académie Goncourt en 1943, mais son élection ne fut validée qu'en 1944. Il décrit les milieux ecclésiastiques (il a été élève de l'École apostolique d'Amiens) Bénoni, L'approbaniste, Introïbo, Le Narthex. Une œuvre ou il s'inspire des conteurs du XVIIIe siècle : La Femme maquillée, L'Amie des hommes, Quel homme es-tu ? et son essai : Pudeur. Pendant de longues années Billy a été le critique littéraire de L'Œuvre. Retiré à Lyon pendant l'Occupation, il entreprit une série de biographies magistrales : Vie de Balzac, Vie de Diderot, et Vie de Sainte-Beuve. Citons enfin les quatre volumes parus de ses souvenirs : La Terrasse du Luxembourg, Le Pont des Saints-Pères, Le Balcon au bord de l'eau, Les beaux jours de Barbizon.

Il était proche de Paul Léautaud.

Après la guerre, il fut chroniqueur dans Le Figaro littéraire.

Dirige la collection Leurs Raisons.

Président d'honneur de la société des Amis de Philéas Lebesgue.

Auteur des Chroniques du samedi dans Le Figaro littéraire.

Œuvres

* Du Noir sur du Blanc

* L'Approbaniste

* mémorialiste de Stanislas de Guaita

* Nathalie ou les enfants de la terre: le roman de Barbizon

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" Édité dans le but de mieux connaître et aimer Émile ZOLA "

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